Ces images de figurines 3D sous emballage plastique déferlent sur les réseaux sociaux, soulevant des questionnements quant à leur empreinte écologique ou suscitant l’indignation des artistes, inquiets pour leur avenir.
par Augustin Lassaussois publié le 18 avril 2025 dans Libération
Sous blister, Thomas Pesquet brandit dans sa main gauche un saxophone et tient dans sa main droite une balle de basket, deux de ses passe-temps terrestres favoris. A sa gauche sont figés un avion, un casque de spationaute et son autobiographie Ma vie sans gravité. Voilà à quoi ressemble le « starter pack » de l’une des personnalités préférées des Français. Ces images, produites par l’intelligence artificielle, montrent des figurines sous emballage plastique accompagnées de quelques accessoires caractéristiques.
Après le récent succès des images inspirées du studio Ghibli, cette nouvelle tendance inonde les réseaux sociaux : impossible d’avoir raté un starter pack si vous avez récemment scrollé sur X, Instagram ou même LinkedIn. Du socialiste Olivier Faure à l’animateur Stéphane Bern en passant par le patron du Medef, Patrick Martin, de nombreuses personnalités se sont prêtées au jeu. Une semaine après le lancement de la fonctionnalité de génération native d’images, fin mars, ChatGPT avait traité plus de 700 millions de demandes.
Si les utilisateurs ont été nombreux à générer leur propre figurine, certains starter packs ont fait polémique, comme celui, posté sur TikTok, de Gisèle Pélicot, accusé de faire l’«apologie du viol» – la plateforme a dans la foulée supprimé le compte.
Deux à cinq litres d’eau nécessaires pour une image
Mais les critiques sont avant tout d’ordre écologiques. Sur son compte X, Thomas Pesquet alerte : « Derrière la magie, il y a une réalité qu’on oublie souvent de regarder : le coût environnemental de ces technologies. » Et il n’est pas des moindres. Bien qu’établir un bilan écologique d’un starter pack soit rendu difficile par la communication très opaque des entreprises d’IA génératives, une étude, codirigée par la chercheuse canadienne Sasha Luccioni, spécialisée dans l’impact écologique de l’intelligence artificielle, estime que générer un seul starter pack nécessiterait autant d’électricité que la recharge entière d’un téléphone portable. « En fonction du type de tâche pour lequel on sollicite l’IA, la consommation énergétique est différente. Par exemple, générer une image comme un starter pack est beaucoup plus énergivore que de générer un texte », observe auprès de Libération Valentin Goujon, expert de la portée environnementale de l’IA.
De même, les serveurs qui réalisent ces calculs doivent être refroidis en permanence pour éviter la surchauffe, ce qui démultiplie leur consommation d’eau : la génération d’une image exigerait ainsi deux à cinq litres d’or bleu, toujours selon la même étude. «Un gouffre énergétique insensé» comme le dit sur X Marine Tondelier, secrétaire nationale des Ecologistes, pendant que le ministre de la Justice Gérald Darmanin s’amuse à repartager sur ses réseaux un starter pack à son effigie.
Ecologie numérique
L’IA durable, entre vœu pieux et opportunité de marché
Cette tendance s’inscrit dans un contexte où l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a annoncé, dans un rapport publié le 10 avril, que la demande d’électricité pour les centres de données devrait plus que doubler d’ici à 2030 et atteindre 3 % de la consommation mondiale, soit autant que celle du Japon. Les émissions de CO2 engendrées seraient ainsi propulsées de 180 à 300 millions de tonnes. L’AIE estime également dans son rapport que d’ici 5 ans, les data centers nécessiteront deux fois plus d’eau, passant de 600 milliards de m² à 1 200 m² d’eau, pour fonctionner correctement. « L’IA a une empreinte environnementale énorme. Elle commence très tôt, dès l’extraction de matières premières pour fabriquer des composants électroniques, comme des processeurs ou des cartes graphiques, puis par la construction et la maintenance de data centers qui tournent tout le temps, sans interruption », alerte Valentin Goujon. De son côté, l’Union européenne travaille actuellement sur l’AI Act, une législation visant à réguler plus strictement le développement et l’utilisation des intelligences artificielles.
« Avec un stylo et un post-it, on peut faire un starter pack en 5 minutes »
Dans un tout autre registre, les starters packs irritent les dessinateurs et illustrateurs, inquiets de leur avenir dans un monde où n’importe qui peut générer ce genre d’images en seulement quelques secondes grâce à l’IA. L’artiste Silver nous dit avoir ressenti beaucoup de lassitude face à l’arrivée de cette tendance : « Chaque semaine, une nouvelle trend d’images générées par l’IA apparaît. Avant c’était Ghibli, maintenant les starter packs. En tant qu’illustrateur, ce sont pour moi des images monotones qui se ressemblent toutes .»
Sur Instagram, un autre artiste, Patouret, invite ses confrères à concevoir leurs propres starter packs entièrement dessinés à la main, sous le hashtag #starterpacknoAI. Résultat, de nombreux illustrateurs se sont ainsi prêtés au jeu, à l’image de Silver, qui y est allé de son coup de crayon pour « faire un truc qui me ressemble et me différencier de l’aspect répétitif de l’IA ». Le trentenaire s’inquiète de « tous ces gens qui partagent des images uniformes, sans style, ni créativité. Je les incite à créer d’eux-mêmes : avec un stylo et un post-it on peut faire un starter pack en 5 minutes. Et le rendu sera toujours plus intéressant s’il est personnalisé ».



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